Sur la chaise de la taverne, je regardais cette flèche de drow, encore tachée du sang de ma tendre Aewen. Je la tournais entre mon index et mon pouce en repensant au regard qu’elle m’avait jeté avant de me dire une dernière fois qu’elle m’aimait. Je sentais ma gorge se serrer et mes muscles se crisper.
« Calme toi Alfijin, tu sais que tu ne peux revenir dans le passé, laisse nous te réconforter. » Mes muses me parlaient, en mon être intérieur.
« Je me calmerais si tel est ma volonté, j’ai besoin de laisser transparaître mes sentiments par moment. » L’homme qui était au plus proche de moi m’avait entendu parler seul, il me regardé à présent d’un air suspect.
« Tsss vous me faites toujours remarquer quand ce n’est pas le moment. » Repris-je sans prêter plus attention à l’homme qui tendait l’oreille par curiosité.
« Le problème étant que tu nous étouffes à te crisper de la sorte. Si tu continues nous allons finir par retourner au village trouver un hôte plus agréable, après tu te plains que nos chants ne soient plus aussi efficaces qu’au départ… »
« Allez-y retournez là bas et laisser moi ici, de toute manière vous n’êtes bonnes qu’à vous plaindre ! » Ma montée de voix fit retourner toute la taverne, ma chaise en bois tomba au sol dans ma levée. Je quittais les lieux presque immédiatement alors que l’homme de toute à l’heure me suivait.
Je ne savais pas ce qu’il voulait mais ce qui était sur, c’est qu’à sa vitesse de marche, il m’aurait atteint dans les secondes qui venaient. Je tournais dans une ruelle proche du temple et j’entendis l’homme accélérer sur deux pas et le bruit d’un objet en métal. Dans un demi tour vif je lui bloquais la lame de sa dague avant de lui briser le bras. Sans attendre une seconde, et vue la puissance de son crie, je m’esquivais, rejoignant un coin tranquille.
J’avais beau chercher, mes muses n’étaient plus là. Même au bord de l’eau, aucun écho ne pouvait se faire entendre.
Je retournais encore cette flèche dans mes doigts, repensant incessamment à Aewen. Une de mes larmes tomba dans le lac, je regardais les vaguelettes s’éloigner du bord, quand une silhouette se forma dans le reflet de l’eau. Je me retournais vivement pensant encore à une agression, mais la vieille personne qui me fixait était paisible et triste à la fois. Son regard était presque vide.
« Puis-je m’assoir à vos côtés jeune Elfe attristé ? » Me demanda cette dame forte aimable.
« Je vous en prie, prenez place, je vous laisse l’autre côté du rocher. » Je me levais pour l’accompagner, son dos paressait lui faire mal. C’est à ce moment que je me rendis compte qu’elle avait un arc en guise de canne. Une fois assise, un long silence pris place sur le bord du lac.
La vielle dame fini par poser l’arc au sol, il n’avait pas de corde. Elle chercha un petit moment dans sa veste avant de sortir une série de fibres et commença un travail délicat de cordage. Je regardais avec attention les doigts agiles de cette dame pourtant âgées.
« Vous savez jeune Elfe, mon mari venait ici dans le temps, tout comme vous, contempler le lac en pleurant. » Dit-elle sans même quitter son travail des yeux.
« Ah bon ? Pourquoi pleurait-il ? » Demandais-je par curiosité.
« Il ne me l’a dit qu’avant de mourir. Il a vécu toute sa vie pour la vengeance, et une fois celle-ci accomplie, le mal qui le rongeait été toujours présent. La seule chose qui pu le guérir fut d’accepter la perte de la personne qu’il voulait venger. » Dit-elle calmement. Je trouvais étrange qu’elle me dise cela aussi facilement. Et elle continua :
« Où est votre arc ? »
« Je ne suis point archer, cette flèche est aussi le mal qui me ronge. » Dis-je en tournant mes yeux sur sa pointe.
La vielle dame soupira un moment et fini par corder l’arc.
« C’est l’arc qu’il portait pour chasser, il ne s’en séparait que très rarement. Je viens le recorder de temps en temps pour honorer sa mémoire. Mais je n’ai plus la force de tirer. » Dit-elle aussi simplement qu’elle dirait « bonjour ».
« Que souhaitez vous atteindre ? »
« Vous voyez la souche d’arbre de l’autre côté du lac, mon mari tirait une flèche dedans toutes les fins de cycle. Pourriez-vous me rendre ce service ? » Elle me tendit l’arc ainsi qu’une flèche.
Ne souhaitant aucunement troubler sa quiétude, je pris l’arme et encocha la flèche. Je faisais attention à me souvenir des conseils de mon père avant de lâcher la corde bandée de mes doigts. L’empennage claqua et la flèche toucha la cible.
« Voilà, ceci est fait … » Je me retournais, sentant que personne ne me regardait.
La vieille dame était sur le rocher, la tête penchée en avant. Je m’accroupissais, j’écoutais si son souffle était encore présent. Mais rien, la dame nous avait quitté…
Légèrement attristé je posais l’arc à ses pieds, celui-ci s’éloigna me tapant le tibia. Je répétais l’opération en vain. Me rappelant des dires de la vieille dame, je pris l’arc avec moi, la remerciant pour ce cadeau que je ferais en sorte d’honorer tous les fins de cycle et dans chacun des gestes de ma conduite.